déclaration faite par Christian Cathelineau
lors de l'hommage qui lui a été rendu par le Snep académique

ON NE NAIT PAS PROFESSEUR D’EPS…ON LE DEVIENT !

Quand Jean MAILLET et Edouard VERNIER m’ont contacté pour participer au bureau académique du SNEP le 30 juin dernier, je n’ai pas hésité longtemps pour leur donner ma réponse positive. Parce que leur invitation amicale était dénuée d’arrières pensées. J’étais certain de passer un bon moment en compagnie de collègues que j’ai côtoyés depuis les années 70 mais c’était aussi l’occasion de retrouver d’anciens étudiants qui se sont engagés dans l’action syndicale. Un pot de départ en retraite peut être la meilleure…et la pire des choses. Le SNEP a bien su faire les choses pour qu’il ne reste que de bons souvenirs ! Redoutant le moment des discours souvent trop élogieux, j’ai eu tout loisir en me rendant à  Joué les Tours de trouver un fil rouge pour structurer le mieux possible ma réponse. C’est la mise en forme d’une improvisation que je vais essayer de reconstituer.
Mais au fait, comment devient-on professeur d’EPS ? C’est la question initiale.
Est-ce héréditaire ?  On aurait alors, à la naissance, le gêne de l’enseignement de l’EPS, qui se perpétuerait de génération en génération.
L’école est-elle déterminante ? L’excellence des cours d’EPS servirait de modèle déclencheur de vocations pour le métier.
Les centres de formations ne seraient là que pour consolider les gênes et les articuler avec la vocation…
Que Simonne de Beauvoir me pardonne de la plagier en affirmant qu’« on ne naît pas professeur d’EPS, on le devient ». C’est ce que vais essayer de montrer.

Né pour faire du sport et enseigner ?

Ma famille n’était pas ce qu’on appelle une famille sportive. Mes souvenirs d’enfance ne fourmillent pas de parties de football endiablées sur la plage, de séances de natation ludiques ou de matches de volley-ball. Toutefois, mes années de jeune parisien m’ont fait découvrir le Vel d’hiv et les six jours cyclistes, ainsi que la boxe à la salle Wagram et le basket au gymnase Japy. Mais ma pratique physique se limitait à regarder les autres faire. En vacances le vélo et le foot avec les enfants des voisins de ma grand mère me donnaient l’occasion de bouger. Les années où nous allions à la mer ajoutaient un peu de diversité à mes loisirs.
L’école primaire de la rue St Maur, que j’ai fréquenté à partir de la 11ème (CP) était dépourvue d’installations sportives, les trottoirs et les caniveaux étaient notre terrain de jeu pour les parties de billes. Tourner autour des arbres n’était pas des plus passionnant. Pourtant la ville de Paris faisait bien les choses en mettant des professeurs d’EPS à la disposition des écoles. C’est ainsi que j’ai eu droit à mes premiers « cours de gym » un peu structurés, animés par un certain Jean DAROT (alors champion de France du lancer de disque, qui sera à l’origine de l’Etudiant Club Orléans).
Le lycée ARAGO, place de la Nation, où j’entre en sixième en 1957, m’a fait découvrir une nouvelle approche de l’EP. C’est avec le recul de l’enseignant préparant à l’écrit 1 du CAPEPS que j’ai pu resituer ce que j’avais vécu comme élève. Le professeur s’appelle Touchard, ancien sapeur pompier et international de gymnastique. Tenue bleue et rouge (maillot et short), en colonne « couvrée », nous nous livrons à la prise en main et à la mise en train. Marcher au pas autour du plateau stabilisé en chantant « je m’en vais revoir ma blonde, je m’en vais revoir ma mie… » ne laissent pas des souvenirs impérissables. Il y a également la séance de plein air. Rendez-vous par nos propres moyens au stade Poniatowski sur les boulevards extérieurs, le prof arrive avec son filet en chanvre goudronné contenant trois ou quatre ballons (tous en cuir comme il se doit). Foot, basket, hand, une fois les ballons distribués, les équipes faites, les matches peuvent commencer. Le basket se déroule sur un terrain en machefer, avec des planches de panier en mauvais état et en l’absence de filet accroché au cercle. L’enseignant ré-apparait en fin de séance pour récupérer les ballons.
On ne peut pas dire que les 11 premières années de ma vie ont été décisives pour mon futur métier !

UN ENSEIGNEMENT SECONDAIRE ENTRE TRADITION ET MODERNITE

J’entre en 5ème M (il existe les sections « modernes » et les « classiques ») au lycée Pothier d’Orléans en 1958. Les cours ont lieu à l’annexe, à l’emplacement de l’actuel lycée, mais les installations militaires sont encore très présentes. Elles nous fournissent salles de classes et salle d’EP (hauteur de plafond 3m, pas facile pour grimper à la corde). Mon professeur est un adepte de la « segmentaire », autrement dit de la gymnastique construite. Ancien lutteur, enthousiaste, grand fumeur de ninas, il a une conception personnelle de l’évaluation. Beaucoup de petites épreuves, souvent par élimination. « Pont sur la tête », les potaches se mettent en position sur de rugueux tapis en coco, les plus faibles s’effondrent, « un quart de point ! » le verdict tombe, « pont sur les bras », ça commence à faire mal au cou, ceux qui s’arrêtent là ont « un demi point ». Les plus résistants auront « un point ».
La séance de plein air (au stade Y. Guinle près de la Loire) démarre au lycée Pothier (rue J. d’Arc). Les « potaches » en rang par deux s’y rendent à pied sous la conduite de l’enseignant. Les annulations pour cause de mauvais temps sont nombreuses. Sur place c’est la distribution de ballons, et on joue.
Pour la natation, il faut attendre l’ouverture de la piscine en plein air du quai du Roi fin mai. Potence individuelle, apprentissage collectif en suspension à des câbles, c’est le travail des maîtres nageurs, en leçons particulières. Savoir nager permet de gagner des points au BEPC et au bac, mais on ne s’y entraîne pas en cours d’EPS.
Recadrés par les IO de 1959, les enseignants d’EPS du lycée, à la formation initiale très hétéroclite (méthodes française, naturelle, néo-suédoise) nous font subir la partie construite de la séance, alors que nous souhaitons jouer tout de suite avec un ballon. Pour pratiquer un sport de manière sérieuse, il y a l’A.S. et le club. C’est ce qui m’a permis de devenir basketteur.
Heureusement, de jeunes enseignants sportifs sont nommés dans l’établissement. Pratiquants de très bon niveau (basket, rugby, football, athlétisme), ils donnent une autre dimension à la pratique sportive. Les élèves qui pratiquent en club, et qui veulent faire le professorat d’EPS reçoivent des conseils, bénéficient de séances de préparation à P0 (épreuve d’entrée en formation à P1).
On mesure bien ici le rôle important joué par certains enseignants d’EPS pour aider les lycéens à construire leur projet professionnel. On peut être un bon pratiquant, mais deviendra-t-on un bon enseignant ?

LA QUALITE DE LA FORMATION INITIALE : D’HEUREUX CONCOURS DE CIRCONSTANCE

Manquer l’entrée à la préparation à P1 (sur blessure) a été finalement une expérience enrichissante. Maître auxiliaire pendant 9 mois au CET St Jean de Braye, peu ou pas formé, sans installations, avec des élèves volontaires mais pas toujours disciplinés, j’ai touché du doigt l’exercice quotidien du métier. Ce qui m’a permis de filtrer les informations qui m’ont été données par la suite en formation initiale.
L’année suivante (1966-67) au CREPS de Dinard a été le déclencheur de beaucoup de choses :

  1. l’exigence d’un travail méthodique pour réussir au plan théorique et physique, qui passe par le sacrifice des temps de loisirs (dont les compétitions sportives),
  2. la découverte de la pédagogie pratique avec les enfants du primaire de la ville de Dinard,
  3. la rencontre avec des professeurs dévoués, connaissant leur métier et qui vous amènent au maximum de vos possibilités.

Dans l’équipe pédagogique, il y avait la star « Jean Leboulch », appelé monsieur Boumboum à cause de l’utilisation du tambourin en psychocinétique. Avec lui le dialogue ne durait pas bien longtemps, il supportait mal la contradiction. Les autres, les « sans grade » (Kerbrat, Daniel, Taponnier, Hardy, Essioux, Macé) se dépensaient sans compter pour nous enseigner l’anatomie ou nous préparer physiquement et psychologiquement aux épreuves du concours. Il est vrai que le directeur, Léon BINET, était un homme d’exception, tout comme la famille LEGER (Rose et Yann).
C’est ainsi que j’ai réussi à intégrer l’ENSEP dans les premiers, ce qui était loin d’être évident compte tenu de mes performances de lycéen. L’équipe pédagogique ne m’y est pas apparue « supérieure » et bien moins performante qu’à Dinard ! Heureusement qu’il y avait le département sports collectifs pour enrichir les contenus de formation.
Basketteur à l’ENSEP, conduisait tout naturellement à jouer le week-end au PUC. Avoir Mérand la semaine et le week-end permettait de mieux comprendre ses enseignements. Participer, comme étudiant aux premiers stages M. Baquet, faire son stage pédagogique de P2C au lycée de Corbeil-Essonnes ont été autant de chances d’enrichir mon « bagage pédagogique ».
L’ENSEP c’est aussi une activité syndicale étudiante dynamique, la première cotisation en 1967 ! Le SNEP était très implanté dans l’établissement et pas moins de 4 courants de pensée venaient pimenter les discussions, fortes et animées pendant mai 68.
Je mesure rétrospectivement combien l’existence d’une école normale (pas toujours supérieure, hélas) donnait à la formation une cohérence, favorisait le débat d’idées, préparait à l’exercice du métier pour peu que l’on assiste aux cours….

UN RETOUR AUX SOURCES

Mon premier poste est l’occasion de revenir au lycée POTHIER, mais comme enseignant cette fois. Les IO de 1967 sont en vigueur, l’équipe pédagogique n’est pas homogène en terme de formation initiale (maître d’EPS, professeur adjoint, CE, MA, certifié). Incapable de dépasser la simple répartition des installations pour construire une programmation d’établissement, elle se divisera au moment de la mise en place des CAS.
Pour mieux vivre la situation de l’EPS placée sous tutelle Jeunesse et Sport depuis 1966 (avant : haut commissariat, secrétariat d’état sous la direction de M. Herzog elle a encore des liens avec le ministère de l’E.N.) je vais m’organiser dans quatre directions :
- la participation au secrétariat académique du SNEP comme responsable de la FPC (années 70) L’action menée pour développer la FPC dans l’académie a été exemplaire (voir mémoire INSEP 1981) au sens où elle illustre « l’effet Al Capone ». C’est à dire que Jeunesse et Sport finançait des stages qui étaient détournées des objectifs ministériels, cela permettait de construire une réponse pédagogique et militante aux plans de relance de l’EPS. Il est vrai que la succession de politiques comme Comiti, Mazeaud , Soisson, à la tête de Jeunesse et Sport, la gravité des coups portés à l’EPS incitaient à se battre et à militer.

  1. la formation universitaire avec un cursus de sciences de l’Education à Paris V.
  2. l’équipe d’animation de l’université d’été de l’AEEPS à Montpellier, avec Mérand, Marsenach, Roche, Portes, Férignac, dans les années 80,
  3. la participation au jury du CAPEPS (écrits et oraux à Vichy)

L’OUVERTURE UNIVERSITAIRE

Diplômé de l’INSEP en 1981, je regagne le lycée Pothier comme si rien ne s’était passé. A. Léon, mon patron de thèse (sujet : l’analyse psychopédagogique de la FPC de l’académie d’Orléans-Tours) toujours aussi exigeant, me conduit à en différer la soutenance. La création  en 1982 d’un poste au SUAPS (service universitaire des APS) de l’université d’Orléans me permet d’intégrer, non sans difficultés, l’enseignement supérieur.
L’EPS, d’une manière générale, se trouve « boostée » par les premières années du septennat de F. Mitterrand, y compris dans les universités.
La création de l’agrégation externe d’EPS (1982), puis des concours internes (1989), vont donner du grain à moudre. Le SUAPS d’Orléans prend l’appellation de DAPSE (département des APSE) montrant ainsi son implication dans les actions de formation (y compris la préparation au tronc commun du brevet d’état).
La réouverture de la carte des filières de formation va être une opportunité pour Orléans.
Sollicitée au moment de la création du DEUG STAPS en 1975, l’université d’Orléans avait refusé de s’engager dans cette voie.
Quand Alain Hébrard, alors conseiller au ministère, me téléphone pour proposer d’ouvrir un DEUST AGAPS en 1990 et un DEUG STAPS en 1992, préfigurant la création d’une UFR, il ne fait qu’accélérer les choses. Le président de l’université, W. Marois,  qu’il va recevoir dans les moments qui suivent notre conversation téléphonique, n’est plus à convaincre.
Le développement d’une filière STAPS, la formation des enseignants d’EPS sont inscrites dans le contrat de développement universitaire d’Orléans.
Depuis cette époque, l’université d’Orléans a tenu ses promesses en apportant un soutien constant aux demandes de créations de postes, aux projets de construction d’installations (sportives et pour les enseignements théoriques). Ce qui a permis de traverser les turbulences nées de la levée des capacités d’accueil à l’entrée en DEUG STAPS.
Construite autour de la filière éducation motricité et de la capacité à former des intervenants dans le domaine des APSE (y compris la préparation au CAPEPS), l’offre de formation en STAPS s’est diversifiée. Chez l’adolescent, la crise de croissance ne présente pas que des avantages. Il en est de même pour les établissements de formations et de recherche, qui ont tendance à se désintéresser de la préparation aux concours (exigeante car constituant une évaluation externe redoutable) pour se parer de formations aux appellations souvent « exotiques » dont on a du mal à quantifier les débouchés professionnels.
L’autre grande mutation des UFR STAPS a été de se doter d’un corps d’enseignants chercheurs. Revendiquant une spécificité de la recherche en STAPS qui l’exonèrerait de répondre aux critères d’évaluation des autres disciplines, le chercheur en STAPS une fois recruté semble taire son appartenance à la 74ème section. Comme l’obtention de la thèse ne garantit pas la compétence pédagogique, cela a une incidence sur les équipes de formation qui se réunissent peu et manquent d’homogénéité.
La coupure constatée entre les enseignants d’EPS des établissements scolaires et certaines structures universitaires de formation a des incidences sur le recrutement des étudiants en licence 1. On ne peut se contenter d’expliquer la baisse des effectifs (plus de 300 à Orléans ces dernières années) par la baisse du nombre de reçus au bac ou par la chute de la démographie.
Cette construction progressive des compétences à enseigner reposait à une époque sur une pyramide (un peu comme celle d’Herzog ou de de Coubertin) allant de la base (les établissements scolaires) au CAPEPS. Ce modèle est peut être dépassé. Mais il a produit des générations d’enseignants dont le système éducatif n’a pas à rougir.
Car pour conclure, et reprendre la proposition initiale, « on ne naît pas enseignant d’EPS, on le devient ».                                                       
 C. Cathelineau. Professeur d’EPS.